Santé sexuelle et reproductive des jeunes filles au Bénin : une révolution digitale et législative

Le Bénin a renforcé en 2021, son arsenal juridique en adoptant la loi Nᵒ 2021-12 modifiant et complétant la loi Nᵒ 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et reproductive. L’objectif du gouvernement est de réduire significativement les décès maternels à travers l’avortement médicalisé, la promotion des méthodes de planification familiale et la mise à la disposition des jeunes d’informations fiables sur la santé sexuelle et reproductive. Mais trois ans après, l’ambition du gouvernement portée par ses partenaires semblent se heurter à de nombreuses pesanteurs socioculturelles. Des barrières auxquelles des innovations sur le plan technologique semble apporter des solutions inattendues et précieuses.

 

Au Bénin, même la loi sur l’embauche n’a pas autant nourrit les débats que celle sur les droits à la santé sexuelle et reproductive.  Les réfractaires pointent du doigt, l’alinéa qui assouplit les conditions d’accès à l’interruption volontaire de grossesse« Quel que soit son âge, un embryon reste un enfant à qui Dieu a donné la permission de venir sur la terre…. Moi je suis chrétien, si cela arrivait, j’assumerai la responsabilité c’est tout »,explique Paterne, un cadre d’une église évangélique

Mais il n’y a pas que l’IVG qui est mise à mal et perçue comme un terrain fertile à la dépravation. Le fait que l’information sur la sexualité soit mise à la portée des jeunes dérange énormément. Les parents pensent que l’éducation sexuelle est une porte ouverte à toutes les dérives et qu’on ne devrait pas en faire cas ni à l’école, encore moins à la maison. « Cette loi dite sur la santé sexuelle et reproductive est une mauvaise chose. Vous imaginez si on se mettait à parler des choses pour adultes devant les enfants ? C’est comme si on les envoyait en mission et les conséquences sont pour nous pas pour l’État qui dit se battre pour la promotion du genre et l’épanouissement de la femme », martèle Dame Marcelline en courroux devant son étalage de poissons fumés dès l’évocation de la loi.

Elle est souvent à couteaux tirés avec ses paires qui pour la plupart sont des ambassadrices formées pour sensibiliser les parents à s’unir autour de la nécessité des DSSR (droits à la santé sexuelle et reproductive). Il y a encore quelques années, Dame Afi, vendeuse de tomate au marché St Michel de Cotonou ne voulait même pas entendre parler d’éducation sexuelle. Mais une grossesse accidentelle et précoce qu’a eu sa fille de 15 ans l’a fait changer d’avis. Surtout que selon les aveux de cette dernière, sa fille lui a notifié qu’elle aurait pu éviter ce genre de situation si elle avait accepté répondre aux questions qu’elle avait commencées à lui poser sur la sexualité quelques mois après ses premières menstrues.

Aujourd’hui, elle le crie haut et fort à qui veut l’entendre que l’éducation sexuelle est une bonne chose et permet de mettre les enfants à l’abri des grossesses précoces et toutes les conséquences autour ainsi que des infections sexuellement transmissibles et du VIH/SIDA. Elle a même créé un club de paires éducateurs dans le marché et fait de façon hebdomadaire des séances de sensibilisation sur la loi Nᵒ 2021-12 modifiant et complétant la loi Nᵒ 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et reproductive.

Margaret a 13 ans et connait par cœur ces rendez-vous de sensibilisation. Elle fait souvent le détour à la fin des classes pour s’informer.« Les filles y compris moi nous ne discutons pas de santé sexuelle avec nos parents. Quand on leur pose des questions en lien avec la sexualité, ils répondent que cela ne nous concerne pas… Les parents veulent avoir leur mot à dire et cela ne nous permet pas d’être libres, autonomes, de dire véritablement ce qu’on pense à l’intérieur de nous. »

Pour accompagner le gouvernement dans son ambition de faire de la santé sexuelle et reproductive, des partenaires comme l’Unfpa, plan Bénin et même des associations de la société, des professionnels de santé innovent comme cette application dénommée ELLES qui s’adressent aux filles et même aux garçons Sandra connait trop bien cette application. « S’il y a dix personnes qui ont vu le prototype de cette application, j’en fais partie. Et depuis que je l’ai installée, je comprends beaucoup de choses sur mon corps et son fonctionnent. « Elles » m’a permis d’apprendre davantage sur mon propre corps, sur mon cycle menstruel, les différentes méthodes de contraception, les infections sexuellement transmissibles (IST) et le VIH. Chaque mois, je reçois des notifications pour faire de l’autopalpation afin de prévenir le cancer du sein », raconte la jeune femme.

L’application « Elles » et bien d’autres viennent combler le vide laissé par les parents et certains éducateurs hostiles à toutes formes de sensibilisation et de communication autour de la santé sexuelle et reproductive. C’est une initiative de Dr Viviane OKE, médecin et membre de la Communauté Women In Tech (WIT). L’application « Elles » a été inspirée de l’histoire tragique d’une adolescente de 16 ans, selon Dr Viviane OKE.

« Un soir de garde, les pleurs et les cris d’une mère ont mis l’hôpital dans lequel je travaillais en émoi. Sa fille de 16 ans saignait abondamment. Elle se vidait peu à peu de son sang. Très vite, l’équipe médicale a pris en charge la situation. Nous avons découvert que l’adolescente avait eu recours à un avortement clandestin parce que sa mère ne savait pas comment annoncer sa grossesse à son père. Pour sauver la fille, nous avons dû lui enlever son utérus. Malheureusement, elle ne pourra jamais connaître la joie de la maternité ».

Elle souligne qu’il s’agit pour elle en tant que professionnels de santé de trouver les moyens de briser les tabous. « C’est ce que nous essayons de faire à travers l’application ELLES téléchargeable librement sur toutes les plateformes et qui permet aux filles et femmes d’avoir des informations fiables et d’être orientées vers des professionnels de santé en cas de besoin. Les hommes ont également leur place à travers une interface baptisée hommes ».

Devant les hésitations, le digital reste une opportunité. « Le choix du digital parce que cela permet de donner le pouvoir aux femmes sans que personne ne les voit. Sans subir la crainte des regards et la stigmatisation.  L’impact et la portée du digital sont beaucoup plus grands que ce qu’on pourrait faire avec des actions physiques », explique Dr Viviane OKE.

En dehors de l’application Elles, il y a également le chatbot Billi lancé par l’Association des Blogueurs du Bénin en juin 2023. Conçu dans un style jeune et aéré, il permet aux utilisateurs d’avoir accès à une multitude de services en lien avec la santé sexuelle et reproductive. « Le chatbot Billi permet aux utilisateurs de discuter avec des professionnels de la santé tels que des sages-femmes ou des gynécologues pour recevoir des conseils après un avortement, faire une échographie, un dépistage de maladies sexuellement transmissibles, détaille-t-elle. Si nécessaire, l’abonné est dirigé vers un centre de santé spécialisé dans son département grâce à un numéro vert ».

Le financement des applications mobiles est un challenge pour les entrepreneurs numériques engagés pour les Droits et à la Santé Sexuels et Reproductifs (DSSR). En effet, le succès de ces applications est souvent le fruit d’un partenariat entre la société civile, les organisations de jeunesse et les acteurs spécialisés dans la santé sexuelle et de la reproduction.

Dr Herman Azanmasso est spécialiste e, médecine physique et de réadaptation, expert en neuro-sexologie et auteur du livre « Comment jouir d’une vie sexuelle riche et épanouie », est un utilisateur de ce type  de plateformes numériques d’éducation sexuelle. « Ces outils numériques nous aident dans la diffusion de bonnes pratiques en matière de santé sexuelle”, apprécie-t-il. Avant de nuancer : «mais ce que nous constatons, c’est que ces plateformes disparaissent à cause du financement. Sur ces projets, il ne faut pas attendre obligatoirement un gain. Il faut que vous soyez capables de patienter des années avant d’espérer éventuellement un financement et une capitalisation ».

« Le fait que nous sommes une équipe essentiellement composée de professionnels de santé, nous permet de donner des informations de qualité. Nous avons prévu un plan pour revoir les contenus revus et mettre l’application au goût du jour et attrayante pour nos utilisateurs. Nous avons un plan stratégique pour capitaliser nos acquis »

                                                   Confie pour sa part Viviane Oke.

En s’investissant dans l’éducation sexuelle, les jeunes et les adolescents ont les connaissances et la confiance nécessaires pour prendre en main leur propre santé et leur avenir. L’accès à une information adéquate en matière de santé sexuelle et reproductive est d’ailleurs un droit fondamental. Au Bénin, le législateur a pris des mesures pour garantir ce droit. Il est également important de faciliter le dialogue intergénérationnel pour permettre aux jeunes d’avoir une éducation complète à la sexualité en fonction de leur âge et de leur niveau de compréhension.

 

 

 

 

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